On s’y perd longuement, dans ces rues souples, enroulées comme l’écriture onciale de l’évangéliaire de Strahov, de traboule en coupe-gorge, cour, arrière-cour qui se débouche passage. Du lierre, des lessives suspendues aux galeries enluminent les crépis déchirés, palimpsestes. Ça sent l’urine, le moisi, l’avarié – partout ces poubelles hautes, étroites, de fer blanc cabossé.
Juliette Kahane et Jean-Pierre Le Dantec
Cœur de l’Europe, dernière ville italienne du nord, livre d’architecture préservé par l’histoire, Prague nous a paru le point de départ évident de notre recherche sur la Couleur et la lumière dans les villes européennes. Engagée depuis une quinzaine d’années dans une expérience de rénovation des façades où la conception chromatique tient un rôle majeur, Prague offre une métamorphose de la lumière, auparavant grisaille dorée et mélancolique, pour qui connut la « Ville dorée » avant 1975. La véritable réussite harmonique des lieux prestigieux que sont la Place de la Vieille ville et de la rue Celetná naît de la beauté des façades baroques aux couleurs mêlées de tonalités chaudes (rose intense ou ocre léger, beige doré et brun rouge) et froides (vert amande et gris clair). Cette palette n’est en rien d’une fidélité historiciste à l’époque baroque, mais elle en redéfinit paradoxalement l’esprit en offrant une lecture renouvelée de sa très riche architecture.